Habitat durable : approches critiques

Direction n° revue Sciences de la société (avec M. Méquignon et J-P. Mignot) 2017


« La thématique du développement durable est régulièrement abordée par les sciences humaines en termes de ville durable et finalement assez peu sous l’angle de l’habitat durable . Cette notion d’habitat est issue du travail critique opéré sur celle qui avait marqué le 19e siècle et la première moitié du 20ème siècle : la question du logement. Constatant les limites de la réponse quantitative à la demande de logements par le biais des grands ensembles , les sciences humaines ont porté les notions d’habitat, puis d’habiter, ce qui a conduit les acteurs du logement à élargir cette question en prenant en compte les relations entre les habitants et leur milieu, ainsi que le contexte social et spatial dans lequel s’inscrit le logement. L’article de Chamboredon J-C., Lemaire M., intitulé « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », constituera le point d’orgue de cette évolution .
Vingt ans plus tard et dix ans après le sommet de la terre à Rio, la charte d’Aalborg va affirmer en 1994 le rôle essentiel des villes dans la mise en œuvre du rapport Bruntland. Publicisés par les institutions, les dérèglements globaux et leurs conséquences sont parvenus à être à la fois audibles sur la scène médiatique et quantifiables. Les traductions de cette préoccupation environnementale seront particulièrement prégnantes dans la règlementation de l’habitat, avec une évolution accélérée des normes de construction, notamment pour tout ce qui concerne les aspects thermiques (normes HQE, BEPOS, BBC, etc.). Pourtant, malgré ces évolutions règlementaires et un travail d’information inédit, les problèmes environnementaux ne sont, le plus souvent, pas directement palpables par les populations. Les questions sociales, politiques et morales sont, pour chacun de nous, plus prégnantes parce qu’elles sont socialisées et peuvent être réinterprétées par nos expériences. C’est peut-être en raison de cette capacité des questions sociales, politiques et morales à être socialisées de manière plus évidente que les problèmes environnementaux, que les tentatives de modélisation de l’urbain par et pour la “ville durable”, notion abstraite et réductrice, peinent à convaincre, malgré les moyens dont dispose la recherche en ce domaine.
Objet mesurable, circonscrit, produit et pratiqué par un nombre d’acteurs important, mais limité, l’habitat semble se prêter davantage à cette modélisation, permettant de construire sa durabilité. Pourtant, l’effet rebond a montré que même sur un tel objet, les anticipations pouvaient relever du château de cartes . Venant après d’autres initiatives éditoriales , ce numéro de Sciences de la Société vise à saisir dans quelle mesure il devient possible d’adresser un certain nombre de critiques au développement et à l’habitat durables dont il est l’expression sur le plan du logement et la question de “l’habiter”. Ces critiques peuvent, en effet, nous aider à mieux comprendre les problèmes rencontrés par l’habitat durable, que se disputent les acteurs individuels (habitants, professionnels, bailleurs, architectes, etc.) et collectifs (entreprises, institutions, associations, etc.), de la ‘production’ de cet artefact à sa ‘consommation’. Il s’agit donc dans ce numéro, de mettre en perspective les forces, mais aussi les ambiguïtés et les apories de cet “habitat durable”, qu’il soit considéré comme l’expression d’une “totalité en acte”, d’un système, qui inclut l’ensemble des éléments qui le constituent, des conditions de sa production à sa fonction d’usage ou comme une “catégorie de la pratique”.
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