Pratiques d’agrégation juvénile et dynamiques du proche
Annales de la Recherche Urbaine, N°90, sept.2001, pp.173-181
Les rassemblements de jeunes qui "rouillent" en bas d’immeubles manifestent ouvertement la préférence contemporaine pour la proximité. Ils sont considérés comme relevant de groupes homogènes s’appropriant un territoire ("Le hall est à eux"). Ce groupe est la plupart du temps qualifié en termes stratégiques ("Ils sont là parce qu’ils voient bien ce qui se passe et peuvent plus facilement échapper à la police"). Son évolution est imputée à ses membres considérés comme des acteurs rationnels ("Ils savent ce qu’ils font"). Ceux-ci sont en général situés en degrés sur trois échelles : la violence, le trafic et l’ethnicité (maghrébine, africaine…). Les exigences pragmatiques des observateurs pèsent sur la description des situations (troubles, incivilités…), et masquent le fonctionnement des sociabilités internes aux "mondes" des rassemblements, considérés comme autant de boites noires.
Une approche plus situationnelle montre des rassemblements cadrant mal avec ces notions d’appropriation, d’intentionnalité ou d’assignation. Si ceux-ci se caractérisent essentiellement par leur familiarité, leur dynamique s’explique par les différentes mobilités qui traversent ou portent les rassemblements. Dans ce cadre, la visibilité "persistante" (Bayart, 2000 : 200) de ces agrégations juvéniles implique pour ces jeunes une gestion permanente du conflit potentiel dans une perspective de coordination publique.
La sociologie de la jeunesse est déjà riche de nombreuses études portant sur la désorganisation (Dubet, 1987) ou la culture des rues (Lepoutre, 1997), développant des travaux précurseurs français (Monod, 1968) et anglo-saxons. D’autres recherches, plus rares, s’attachent à l’économie souterraine (Tarrius, 1999), aux apprentissages urbains (Roulleau-Berger, 1991), au rapport entre espaces de fixation et espaces de mobilité (Kokoreff, 1993) ou entre centres et périphéries (Bavoux et Foret, 1990).
Notre travail s’appuie sur des observations directes ou participantes effectuées dans trois villes de la proche banlieue parisienne : Bobigny, Créteil et Nanterre (Boissonade, 1999-2001). Au sein de ces villes, la sélection des trois sites précis d’étude d’agrégations juvéniles relève de zones couvertes par des clubs de prévention dont certains ont facilité les premiers contacts avec les jeunes rassemblés.
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